Chroniques de la vie en Slashie

- Par Michel Simian -
Épisode 7
Pour quelques chmod de plus

« Vous n'avez pas le droit !
- De quoi ? De quoi ? DE QUOI ?
- Cet endroit est réservé. Vous n'y avez pas accès.
- Je fais ce que je veux, bordel. Je suis chez moi.
- Ici, c'est moi, l'administrateur. Et on reste poli. »

Notre héros n'en croyait pas ses yeux. Comment, chez lui, se faire insulter par un fonctionnaire minable, qui n'existait d'ailleurs que parce-que lui existait. Après tout. L'autre vivait sur les ressources que _lui_ donnait. Voilà bien l'administration. Comme ils étaient payés par tous, ils étaient partout chez eux ? Naon... Il allait s'énerver. Il fallait qu'il s'énerve. Il va s'énerver... quand, soudain, il songea à Léna.

« Que penserait-elle de tout cela ? Comment réagirait-elle ? Elle lui avait tellement dit qu'il fallait se calmer, aborder les problèmes avec simplicité... Bon, faut que je me calme. Sinon, je vais te le rebooter, moi, ce mec... »

Il toisa son interlocuteur avec haine, quitta la file d'attente et se promena lentement dans les locaux. Respirant fortement. Lentement.

Il revit le barbu grassouillet entrer dans la file. Puis un gamin à sa suite. Où les avait-il vu, déjà ... ??? Il repensait à son histoire. Il n'était venu que pour demander une autorisation, un truc naïf, évident. Et voilà que cela tournait au vinaigre.

Un fonctionnaire quitta son bureau et se dirigea vers lui.

« Bonjour
- Mwouais... grommela t-il.
- N'ayez crainte. Je ne suis pas comme l'autre.
- Qu'est-ce que j'en sais...
- Je vais vous conduire à un ami. Lui vous aidera. Il vous fera passer les barrières »

« Après tout, » se dit-il, « qu'est-ce que je risque ? »

Il suivit le bonhomme jusqu'à une extrémité de la pièce. Là, au sol, on distinguait des trappes de verres montrant, si il était encore utile, que le bâtiment était construit en hauteur, et que dessous, la ville s'étendait.

Le sourire au lèvres, le fonctionnaire lui montra une trappe. Il regarda. Elle était marquée CTRL C.

« Je deviens fou où quoi... »

Mais il n'eût pas le temps de réfléchir plus. L'autre le poussa sur la trappe, qui s'ouvrit, et il tomba. tomba. tomba... La ville se rapprochait. Il voyait plein de petits panneaux, des petites loupiotes...

« Mais putain merde. Je vais m'écraser dans ce bordel... À l'aide... À l'aide... »

Il sentait son corps. Il sentait qu'il tombait. Il sentait aussi qu'il voyait sa chute de l'extérieur. Il sentait qu'il quittait son corps. Était-ce le début de la fin ? Se voir mourir, putain, merde...

Il repensait au fonctionnaire récalcitrant, au petit barbu, à l'autre, là, qui l'a poussé.

Il finit sa chute dans une cahute. Ouf. Plus de peur que de mal. Mais foutre, quelle descente. « Bon, où suis-je ? » se dit-il... « C'est fou, ce bordel ici. Ça me rappelle quelque chose, mais je sais plus quoi. Si Léna était là... »

Il fut stoppé dans ses pensées par l'arrivée d'un homme, grand, majestueux. Habillé d'une grande robe rouge, avec une traîne bleue, et un chapeau. Un drôle de loustic, cuilà, genre magicien.

« Eh, connard, c'est pas carnaval...
- Monsieur, je vous en prie. Vous vous introduisez dans _ma_ maison, par effraction, vous pourriez être poli. De plus, le fonctionnaire m'a prévenu que vous êtes en infraction, que vous avez souhaité aller au-delà de vos prérogatives.
- Prérogatives, prérogatives. Éh, oh, j'suis chez moi, là. Faudrait pas l'oublier, l'empanaillé, là.
- Pardon ? Vous êtes ici dans la maison du seigneur. Maître de ces lieux. Les dérangeants, fut-ils dérangés, nous savons comment les traiter, ici. »

Sentant que cela tournait mal, il commença à se rebeller.

« Putain, bordel. Merde. Tu vas te calmer oui. Je te dis que ici, c'est moi qui commande.
- Bien sûr, bien sûr. Les emmerdeurs, ils disent tous ça. Et de quel droit, je vous prie ?
- Bin... Quoi, c'est ma machine !
- Ah oui, je vois. Le fantasme de la machine. Pauvre fou. Mais figurez vous, mon cher, que moi, je suis Dieu...
- Pauvre fou... Vous aussi... »

L'espèce de magicien claqua des doigts. Un valet arriva.

« Voyez, » dit-il, « ici, l'on m'appelle bash. Et là, c'est cd, mon valet. Et il va vous foutre dehors. Ici, l'on n'obéit qu'à Dieu. Pas à des moins que rien. Le Grand KerneL m'a fait part de vos déboires. Lorsque l'on est pas capable de prendre les privilèges, on se tait, et on retourne jouer dans la cour des petits...
- Mais, je les prends tous les jours, les privilèges... Je suis ROOT, moi Môssieur !
- Bin voyons... Pauvre ami... Depuis, la grande reconstruction, c'est la première fois qu'on reçoit un fou pareil... Enfin. Cd, s'il-vous-plaît, donnez moi ça à manger à la trash... »

Cd s'approcha de l'inconnu, le prit par la manche, l'entraîna hors de l'inode. Il eût aimé que son ami cc voit ça. Dehors, il héla init, demanda l'autorisation spéciale d'aller jeter le morceau.

Init observa de la tête au pied.

« Pas humain ce truc. Rien d'un slash/. Sort d'où ?
- J'sais pas. L'est tombé sur l'inode de ba/sh. Paraît que le KerneL l'a foutu dehors. Mon patron m'a demandé de l'envoyer à la trash...
- Ah... Je vois... Encore ce fou qui se croyait tout permis. Non, fous le plutôt à bouffer par les dev. Il voulait du tty, donnes le à ttyS1. »

Cd lui balança un grand coup de pied. L'inconnu, que tout commençait à inquiéter, que la tournure des événements affolait, s'écria :

« Mais vous n'avez pas le droit... »

Mais déjà, cd et dd le harponnaient, le maintenaient, et le tiraient vers la Mar/che dev. Arrivé en haut, il fut précipité dans le ravin, rebondit sur 3dfx, s'affala sur amigamouse, y perdit un bras. Il se releva, regarda son bras d'un air hébété. Lorsque il vit une série de tty arriver en courant. Il lut de la cruauté dans leurs yeux.

« Vite, faire un garot. » se dit-il, « Ils sont attirés par mes bits... » Il perdait ses bits, de partout. De la blessure, du nez, des oreilles. Les tty se ruaient sur lui. Dans sa tête, son cerveau comptait :

1200 de perdu... 2400, 4800. « Ahh, je me meurs... » 9600... Et les tty en voulaient toujours plus.

Il rua, se débattit. Se releva, s'assit, transpirant.

« Non de Dieu...
- Quoi chéri », demanda Léna. « Mais, tu es trempé...
- J'ai fais un cauchemard...
- Racontes, c'est sexuel, au moins... dit-elle en se lovant sur son épaule.
- Déconnes. J'étais allé réparer le programme de Jean-Pierre dans ma machine.
- Ah, ça marche toujours pas ?
- Non. Et ça me fout le bourdon. Du coup, tu vois, je me suis retrouvé dedans.
- Dans quoi ?
- Bin, dans l'ordinateur, quoi...
- T'avais minci, alors. Parce-que maintenant, pour passer... Pas par la rj45, pas par le port série...
- Justement, tu sais, le port série... Bin, j'étais dans le noyau. Mon ioctl était passé nickel.
- Tu te fous de moi ?
- Dis donc, hé, c'est toi, avec tes histoires de bonhommes, de cc, qui m'as mis ça en tête...
- Alors, tu y faisais quoi, dans cette machine.
- J'te l'dis. Dans le noyo. Y m'ont foutu dehors. Pas les privilèges. Pis après, bash m'a jeté, et les dev me bouffaient.
- Ils te bouffaient quoi ? »

Il n'osa pas le dire. De peur qu'elle ne croie à un jeu de mot vaseux.

« J'sais pas ; Tu peux m'expliquer ce rêve ?
- Oui. Tu travailles trop. »

Il se leva, alla boire un verre d'eau. Trois heures du mat. Chiée. Une nuit perdue. Il retourna vers le lit, regarda Léna, où plutôt s'intéressa à la forme nue sous le drap. Une envie lui vint.

« Niet... » dit-elle, sentant des mains balladeuses. « Tu n'as pas la permission
- Non de Dieu, merde !!!
- Eh, oh, bwana ; la femme blanche est pas à ton service !
- YAHOOOOOO, ma chérie, t'es la meilleure. J'ai pas la permission... Merde... J'ai pas la permission... Hâ hâ hâ... »

Léna se réveilla tout à fait. Le regarda. Il devenait fou ?

Mais déjà il s'était rué vers sa linuxette. Le temps de booter, et il arracha des cris de douleurs à son clavier en enchaînant

cd /dev<return>ls -l<return>chmod ugo+rw /dev/ttyS1<return>./kermit

« Ça marche... C'est ça, le rêve... J'avais pas les droits d'accès au device... » Il se jeta sur son portable, gisant au coin de la table. Numérota.

« Allo, Jean-Pierre, j'ai trouvé ça marche oui il est tard, je sais mais ça marche tu viens le récupérer... »


Épisode précédent
Épisode suivant


Fiche mise à jour le mardi 07 mai 2002.
Thomas Nemeth
back
Script (version 2.9.9-r8) fait en août 2000