L'Histoire des Pingouins

- Par Antoine Bellot -
Épisode XXXXI.VIII
Pilotes-NG

Malgré la diversité apparente des amusements qui semblent m'attirer, ma vie n'a qu'un objet : elle est tendue tout entière vers l'accomplissement d'un grand dessein. J'écris l'histoire des Pingouins.

Anatole France : l'île des Pingouins

« Sacha Von Daum ? »

Malgré le grésillement intermittent du terminal SILC, Schoelcher percevait la nervosité de son interlocuteur. Schoelcher exécrait le rendu sonore hâché de son logiciel au squelch si délicat à régler.

Le squelch était ce paramètre qui déterminait en dessous de quel niveau de bruit le protocole devait interrompre le flux audio sur le réseau (et le son !) pour économiser la bande passante. Évidemment, ce paramètre devait être convenu en commun, aux deux bouts de la ligne, ce qui rendait son ajustement en cours de communication difficile. Ses concepteurs débattaient encore des détails de design du flux associé au service lui-même (et des quelques octets perdus dans la construction des trames de signalisation). Schoelcher n'avait pas suivi ce débat-là. Un simple fondu sonore à la rupture de transmission sur le logiciel client aurait suffi à son bonheur. Les ressources propres de chaque noeud sont bien plus faciles à gérer que les ressources communes ou négociées lors du protocole, toute exigence sur celles-ci se traduisant inévitablement par des exigences minimales supplémentaires pour chaque noeud. Tout ceci était trop compliqué pour Schoelcher. Selon lui, rien ne fonctionne mieux que ce qui ne demande rien au réseau.

Autrefois, il aurait certainement pensé à ajouter lui-même ces fonctions de gestion souple de la rupture du flux sonore. Il aurait certainement été difficile de reproduire correctement l'attaque d'une brusque exclamation, si courante dans les dialogues qu'il entretenait avec les rebelles de Central. À moins, peut-être, d'échantillonner quelques fractions de seconde de bruit de fond et les rejouer avec un léger retard. Il sourit : un tel dispositif provoquerait probablement de nombreux gags par ailleurs. Peut-être valait-il mieux se baser sur un échantillon médian de la session courante.

« <gzzit>ensez qu'il s'agit d'un piège, Schoelcher ? »

« Orcam raisonne toujours aussi juste », pensait Schoelcher. Il s'attendait à cette question. Il savait aussi que Schoelcher s'y attendait. Schoelcher avait déjà préparé sa réponse. Orcam le savait aussi. Le protocole se déroulait comme prévu : la routine.

« Non », Schoelcher inspira, pour le confort de son interlocuteur. « En aucun cas. Notre présence aux alentours de Raid Mont n'était connue de personne. »

Le protocole bien rodé des échanges avec Central l'ennuyait déjà. Il voulait déjà égayer ce discours trop formel. Orcam aimerait ça. Orcam le connaissait. C'était toujours Orcam qui lui parlait au nom de Central, alors qu'il n'y était pas obligé. Il devait aimer ça. Il releva les yeux, l'air bravache.

« J'en suis d'autant plus certain qu'il est un fait que ce n'est que très récemment que notre groupe a décidé de traîner par là-bas. Nous n'avions pas prévu cette manoeuvre de longue date, voyez-vous. »

De l'autre côté du lien, Orcam grimaçait. Schoelcher savait que les véritables maîtres de Central, élus d'entre leurs pairs d'aujourd'hui et de demain, regarderaient ce débat. Orcam jouait son rôle, pour eux, pour ceux d'aujourd'hui, et ceux qui leur succéderaient, ceux qui liraient les archives des temps de leurs prédécesseurs.

« Que faisiez-vous par là-bas, d'ailleurs ? Quelle idée saugrenue avez-vous eue d'errer si près de Raid Mont ? » demanda Orcam.

Schoelcher avait prévu des tas d'excuses en réponse à cette question. Il préféra hausser simplement les épaules, regardant son interlocuteur. Le visage d'Orcam restait crispé, mais il reprit :

« Schoelcher, je vous en prie ! Faites ce que bon vous semble, après tout, je n'ai aucune leçon à vous donner. Mais ne croyez surtout pas que personne n'ait pu envisager que vous souhaiteriez vider vos vieilles querelles par là-bas tôt ou tard. Mais, par pitié, n'entraînez pas le CaLUG dans vos vieilles querelles. »

« Ce qu'il en reste », souligna Schoelcher, le regard droit. « Ce qu'il en reste, Orcam ». « N'oubliez jamais », pensait-il, « n'oubliez jamais cela ».

Orcam fit une moue de dégoût.

« Vous auriez su passer au-dessus de tout cela si vous l'aviez voulu et vous auriez dû le faire ! Vous êtes un héros pour les derniers du CaLUG : ils vous idolâtrent, et feraient tout pour vous plaire, ne l'oubliez pas ! Vous savez comme moi que ni vous ni moi ne sommes blancs dans ce qui s'est passé, n'est-ce pas ? Que ces enfants vous admirent, soit ; mais il devient alors de votre devoir d'être un exemple pour eux tous, et ceci exige de la prudence, de la réserve, de la retenue : votre comportement impulsif mêlé au respect qu'ils vous portent vous privera de leur intelligence, car ils n'oseront plus vous contredire, et précéderont vos intentions. Votre groupe n'en sera que plus vulnérable. Ne vous fiez plus à votre seul instinct, Shoelcher, vous n'êtes pas un chef, vous êtes un solitaire. Vous savez tourner à votre profit tout ce qui passe à votre portée, mais par pitié, ne gâchez pas ces gosses, pour eux, pour vous, et pour nous. »

Un silence gêné s'installa. Schoelcher n'avait rien à dire. Il savait que ce discours viendrait, tôt ou tard : le remontage de bretelles. Orcam servait à cela, aussi. Répéter, sans cesse, les mêmes discours, les quatre libertés. Il en fallait.

Tous deux savaient fort bien que quiconque connaissait le caractère souvent farouche et bravache des grands pilotes rebelles aurait pu prévoir qu'ils ne se tiendraient pas tranquilles après le retournement de situation imprévu de l'affaire CaLUG. La présence de Sacha parmi les anciens du CaLUG était, par contre, quelque chose que personne n'avait probablement envisagé. Schoelcher aimait ces situations imprévues, Orcam les détestait, tout simplement.

« Quoi qu'il en soit, Schoelcher », reprit Orcam, « Central tient à vous signifier sa plus profonde reconnaissance pour la participation du CaLUG au projet Nouvel Ether. Vos rapports de bugs nous sont très précieux, et personne n'ignore les efforts que les vôtres consentent à supporter les imperfections de nos actuels logiciels. Quelques chefs d'escadrilles réputées tenteront bientôt de débaucher des membres de votre équipe, et Central ne les en dissuadera pas, malgré le tort au projet 6bone que constituerait l'affaiblissement de votre groupe. Nous comptons encore sur les vôtres pour nous aider à gérer l'arrivée prochaine des hordes neuneutes. »

Schoelcher ne semblait pas outre mesure surpris par ce qui aurait pu être une nouvelle. Il saisit l'occasion de reprendre l'initiative.

« Mann Drake et Redhatte intègrent déjà le code nécessaire, non ?
- Oui, bien sûr, admit Orcam. Mais ils ne mettent pas en avant ces fonctions, pour des raisons qui ne relèvent pas de considérations strictement techniques : ce n'est pas leur marché. Actuellement, ils veulent juste en être quand cela viendra. Mais les premiers vaisseaux égarés dans le 6bone font leur apparition via les points d'accès Canada et Nouvelle-Zélande. Leurs pilotes sont souvent totalement dépassés par les conséquences de leurs manoeuvres. Les nôtres tentent de les prendre en charge un par un, avec succès pour l'instant. Canada sera bientôt saturé, et des agressions pour l'accès au Sceau ont déjà eu lieu. Pour l'instant, la manoeuvrabilité et la puissance de feu de nos pilotes sont suffisamment supérieures à celles des nouveaux venus pour que les conflits se résolvent vite.
- Disposerons-nous d'autres points d'accès bientôt ?
- Sacha en sait certainement plus que nous, répliqua immédiatement Orcam. L'E-Empire est le premier constructeur de points d'accès. Questionnez-le donc à ce sujet, entre autres choses. Nos partenaires habituels sont peu réceptifs à nos arguments actuels. Nous serions ravis d'entrer en contact avec des personnes favorables à l'expérience, le temps de roder nos arguments.
- Et en ce qui concerne Pandora, des nouvelles ? »

Le regard d'Orcam se perdit dans le vague.

« Point mort, et j'en suis heureux, à défaut d'une résolution complète du problème, bien sûr. Tu enfonces le clou, vieux singe, pensait Schoelcher. Jean et votre ami Chico sont toujours du côté de Basse-Tille, selon Kremps. Des flibustiers et ex-flibustiers notoires ont été repérés dans le secteur, dont votre amie Dara, mais... Comment dire... Vous comprendrez que nous ne souhaitions pas chercher activement à en savoir plus, n'est-ce pas ? Ceci dit, puisque vous avez vos entrées, n'hésitez pas à nous informer de ce que vous apprendriez, n'est-ce pas ? »

Schoelcher grommela, un peu surpris.

« Bon, ça ira pour aujourd'hui, Central. C'est bon pour vous ?
- Au revoir, Schoelcher, répondit Orcam, qui pianotait rapidement sur sa console. Le programme des essais à venir a été mis à jour sur notre dépôt. La synchronisation de vos archives est commencée. Faites attention ! Changement de version majeure en prévision : vous allez peut-être essuyer de fortes bourrasques. Merci pour tout, et bonne chance.
- À bientôt, Orcam. »

La console s'éteignit. Schoelcher débrancha son micro, rabattit un volet sur sa caméra. Il ne faisait par principe jamais confiance aux messages de quelque logiciel que ce soit, même s'il l'avait écrit lui-même « Surtout si je l'ai écrit moi-même », pensait-il, car il avait une piètre opinion de ses qualités de programmeur.

« Pourquoi ne leur avez-vous rien demandé de plus, pour Jean, chef ? »

Schoelcher se retourna vers Éric.

Éric s'était tenu debout, l'air grave, à côté de la console, invisible d'Orcam durant toute la transmission. L'air insouciant qu'il arborait autrefois semblait appartenir à un passé enterré à tout jamais. Schoelcher se sentit soudain bien triste.

« Que veux-tu que je te dise ? grommela-t-il. Tant que Kremps sera dans son sillage, il ne risque rien. Basse Tille est un lieu très sûr, dit-il doucement. »

Éric ne semblait pas convaincu.

« Jean n'a plus besoin de nous, petit, reprit Schoelcher. En tout cas, moi, je n'ai plus rien à lui apprendre, rien qu'il ne saurait trouver lui-même un jour, s'il en avait besoin. Il en sait assez pour être libre, pour faire ses choix lui-même, seul. »

Il baissa les yeux.

« Il saura me trouver s'il a besoin de moi. »

Éric cachait mal ses doutes. Il fallait changer de sujet.

« Tu as bien entendu ce qu'a dit Orcam, Éric ? »

Éric acquiesça.

« Je veux dire, ce qu'il a dit, sur moi, sur nous, sur notre groupe, sur ma manière de vous mener. »

Éric acquiesça de nouveau. Avait-il compris ? Fallait-il insister ?

« Tu sais que tout ce qu'il a dit est vrai, insista-t-il.
- Oui, répondit Éric, chassant une mouche d'un geste de la main. Vous nous prenez pour des idiots ? On sait tout ça. On sait que vous êtes fou à lier, Chef, qu'avec vous on va se planter. On sait qu'il y aura d'la viande froide un jour, comme vous dites. Mais vous nous respectez, et c'est ça qui compte. On aura bien le temps d'être raisonnables quand vous partirez. On partira tous, un jour, de toutes façons.
- Central voudra vous envoyer un mec de chez eux un jour, de toutes manières, dit doucement Schoelcher. Un bon p'ti gars, bien instruit, poli, fin, subtil, un vrai programmeur quoi, comme le Lieutenant, pas un gros balourd comme moi.
- Les bleus n'en voudront jamais, vous savez ! s'exclama Éric. Et c'est de votre faute, vous le savez bien. C'est trop tard maintenant. Vous nous avez donné envie d'être libres, vous nous faites comprendre qu'on en est capables. Quand on a vu l'Ether, quand on l'a traversé de part en part, le moteur en rade, toujours plus vite, toujours plus loin, on ne veut plus jamais revenir. Finis, la doc, le code, tout ça. On sera libres, comme vous, Chef, avec ou sans vous ! Ils pourront compter sur nous, bien sûr, mais pas nous dire ce qui est juste ou bon. »

Schoelcher ne savait plus quoi dire. Éric devait apprendre, apprendre à comprendre ce qui est, sans qu'on le lui dise, apprendre à trouver ce qui existe dans les silences, dans les absences. Plus tard, peut-être...

« C'est pour ça qu'ils cherchent Jean, petit. »

Éric réfléchit. Jean était des leurs. Oh, bien sûr, il avait tant progressé.. Il était aussi un pingouin, ils l'accepteraient.

« Rien que pour ça ? Vous croyez ?
- Non, bien sûr, répondit Schoelcher. Pas rien que pour ça. Mais je sens, je sais qu'ils y pensent.
- Ce serait logique de leur part, admit Eric. »

Schoelcher choisit d'enfoncer le clou.

« Central n'est qu'un gros tas de gens très logiques qui ne s'aiment pas. Ils ne savent pas être autre chose que logiques. Ils ne pourraient pas être illogiques et être ce qu'ils sont, faire tout ce qu'ils font. Ils sont donc très prévisibles. »

Éric fronçait les sourcils : il commençait à comprendre.

« Et l'Empire ? demanda-t-il. Réfléchissent-ils autant aussi ? Vous pensez qu'ils savent aussi tout ce que nous faisons ? »

Schoelcher sourit.

« Oui, bien sûr, ils nous connaissent, ils savent qui nous sommes : leurs cadres, du moins. Ils savent bien tout ce que nous voulons et comment nous réagissons. Mais ils ne savent pas tout ce que nous savons : leur propre réflexion les aveugle, comme Central. Ils nous imaginent agir dans les marges de manoeuvre qu'ils peuvent concevoir, alors que notre champs d'action est bien plus vaste que ce qu'ils peuvent imaginer, si vaste que nous ne le connaissons pas nous-mêmes ! Et surtout, ils ne sont pas unis, et ne le seront jamais, car leurs intérêts respectifs sont contradictoires. Ils se battent tous pour le même objectif : l'argent, le pouvoir, la gloire, qu'ils se prennent l'un à l'autre, qu'ils se battent pour posséder. Certains conflits chez eux ne peuvent être résolus sans faire exploser leur coalition. »

Éric intégrait tout cela, lentement, sûrement.

« N'oublie jamais que les plus grands coups portés à l'E-Empire proviennent encore de ses vassaux. Pour l'instant, du moins... La violence à l'intérieur de l'Empire est incroyablement plus forte que la violence de nos relations avec l'Empire : ne te souviens-tu pas de ce que tu voyais, il n'y a pas si longtemps, à la Dot Corp. ? »

Le temps ferait son oeuvre. Schoelcher sentait au fond de lui qu'un jour Éric, Jean, et quelques autres aussi, le dépasseraient, l'éblouiraient. Il n'avait jamais voulu autre chose que cela : voir ses élèves tracer les routes qu'il n'avait pas su trouver, descendre les gouffres qui l'avait fait reculer, franchir les barrières qu'il n'avait pas pu surmonter, l'émerveiller de prodiges qui repousseraient plus loin encore les limites du possible qu'il ne pouvait l'imaginer, et, enfin, retrouver l'innocence, la joie immense de l'étonnement, de la vie.

Ils étaient suffisamment nombreux, maintenant : ce jour était proche. Il pourrait enfin ranger les gants brûlés, la combinaison, le casque, et contempler son nom sur la stèle des anciens, entendre. Et peut-être, plus tard encore, assis au fond du bar, entendre la génération suivante conter la légende des temps perdus. Il tâterait du manche, de temps à autre, dans les conventions. Il pesterait contre les outils modernes, chercherait ses vieux programmes que personne n'enlèverait jamais, et, bien sûr, gagnerait toujours... Enfin, assez souvent, sans doute.

« Et pour Sacha ? Qu'est-ce qu'on fait ? »

Éric ne rêvassait pas, lui. « Touché ! » Schoelcher se recadra.

« Comme d'habitude, rien de plus, dit-il. Reste avec lui, aide-le, prends du bon temps surtout, et surtout, apprends tout de lui ! Ne t'y trompe pas, il est fort, très fort, et certainement vicieux. Il a du talent, tu apprendras beaucoup à son contact, profites-en. Écoute ce qu'il dit, pense bien à tout ce qu'il ne dit pas, réfléchis, tires-en tes conclusions. Après, parle-nous de tout ce qui te passe par la tête : nous n'avons rien à cacher, mais lui, probablement, si. Cette histoire sent le piège à plein nez, mais je ne vois pas le problème. Il doit nous manquer des données. Tu as une chance unique d'apprendre des choses que nous ne connaissons pas... Encore.
- Son châssis est presque opérationnel, maintenant, répondit Éric. Il a lui-même réalisé les adaptations de codes libres à son système pour traverser le 6bone : je n'aurais jamais cru un impérial capable de faire ça, de travailler autant, et si vite. Il n'arrête jamais de pianoter ! Mais il n'a pas l'air pressé de nous quitter : je crois qu'il se sent bien ici, ou n'a pas de meilleur plan. Pourtant, il ne s'intéresse pas à nos codes, nos docs, nos méthodes. Il n'aime pas nos manières, ça se sent, mais il nous respecte. Il raconte des blagues de la Dot Corp. qui font hurler de rire les jeunots. Il nous parle de beaucoup de choses sur la manière dont fonctionne vraiment l'E-Empire. »

Schoelcher regardait tout simplement Éric, silencieux. Éric s'enhardissait.

« Vous savez, Chef, toutes ces bandes qu'il a sur lui... »

Schoelcher écoutait.

« Il ne les a pas utilisées pour réparer son châssis », dit Eric.

« Bien, bien... Tu utilises tes neurones, c'est bien... » pensait Schoelcher. « Où veux-tu en venir ? ». Éric s'était tu. Il avait dû sentir sa nervosité.

« Restons factuels » pensa-t-il.

« Tu lui as demandé ce que c'était ? demanda-t-il.
- Il m'a dit que c'étaient ses archives personnelles, qu'il avait prises avant de s'enfuir. Éric insista : mais il ne s'en est pas servi pour réparer son châssis. »

C'était effectivement curieux qu'il n'ait pas de sauvegardes de son système s'il avait des bandes. Il ne fonctionnait pas avec du code libre. Il aurait pu avoir des difficultés à reconstruire son châssis. Pour un homme aussi prévoyant, c'était étonnant.

« Tu en penses quoi ?
- Il n'y a pas que ça. Il y a un autre truc qui me chiffonne. Qu'il se soit enfui de Raid Mont, vu son histoire, ça, je comprends. Mais je ne comprends pas pourquoi l'E-Empire ne l'a pas simplement laissé filer, quitte à le rechercher plus tard. Pourquoi lui ont-ils envoyé une escadrille complète aux fesses ?
- La présence de l'escadrille à ses fesses serait une manoeuvre très grossière s'il s'agissait d'un piège. D'autre part, si nous n'étions pas intervenus, il aurait probablement été intercepté. Son châssis était réellement endommagé, et ça n'a pas l'air d'un mec qui casserait son matériel, même pour un plan fumeux. Tu n'as rien trouvé sur son châssis ?
- Ah ça, si ! reprit Éric. Son châssis est bourré de bidouilles, d'astuces incroyables ! Un véritable équipement de James Bond, qu'il a visiblement réalisé lui-même : des SRAMs additionnelles, un prolongateur de bus PCCARD, des déports de commandes, un refroidisseur d'urgence à carboglace pour protéger son processeur en cas de panne de ventilation ! C'est d'ailleurs en l'activant manuellement pour tenir un sur-régime manuel qu'il a tout bousillé : ce type est dingue ! »

Schoelcher sentait bien que cette dernière appréciation n'était pas réellement péjorative dans l'esprit d'Éric, qui continuait :

« Mais je suis d'accord avec vous, Chef, il n'aurait pas risqué de bousiller tout cela pour des prunes. Mais je n'ai rien vu qui ne vaille la peine pour l'Empire d'envoyer la chasse à ses trousses. Ils avaient vraiment l'air de ne pas vouloir le laisser partir du tout.
- Donc, il reste les bandes. »

Schoelcher médita. Il se retourna vers sa console, pianota rapidement.

« D'après ce que je vois dans les tableaux d'Orcam, le prochain upgrade du réseau est annoncé par Central pour demain, 17h GMT. Voilà : je te l'ai dit, mais maintenant, il faudrait que tu fasses une erreur.
- Hein ?
- Tu annonceras à l'équipe qu'un upgrade mineur aura lieu demain à 21hGMT, et tu fermes ta gueule sur le changement de version majeure à 17. Je te conseille de préparer une bonne dizaine de recettes pour quand ça va merder. Tu te démerdes pour être près de Sacha à 17hGMT. J'essaierai de vous rejoindre vers 16h30, mais essaie de le traîner vers la soute aux disques.
- Un plan ! pensait Éric, très excité. Il a un plan ! »

C'était certainement dangereux, donc très drôle.

« Vous allez faire quoi ? » osa-t-il demander.

Schoelcher sourit mystérieusement. Selon Éric, ça voulait dire que son plan n'était pas très bien arrêté. Schoelcher excellait à ne suivre aucun plan, à n'avoir que quelques vagues idées et principes autour d'un but bien arrêté : il fallait penser comme en r00twar.

Axiome : un upgrade majeur des liens logiciels au réseau allait tomber sur l'escadrille sans qu'ils soient prévenus, donc, probablement, en plein vol. Lemme : Il y aurait de la viande froide. Corollaire : Nul doute que Schoelcher allait laisser faire, il avait d'autres idées en tête : c'était à lui de gérer cela. Note personnelle : Éric avait une longueur d'avance pour se préparer. Conclusion : des pilotes auraient besoin de son aide. Schoelcher voulait qu'il soit prêt pour agir à sa place : il pourrait rattraper sa supposée gaffe avec l'avantage que lui procurait le fait de savoir ce qui allait se passer. Il devait juste s'assurer que Schoelcher et Sacha seraient ensemble quand ça merderait, puis irait courir au hangar prendre son châssis récupérer les égarés en un délai record. Le reste était le problème de Schoelcher.

Éric se leva, puis sortit à vive allure. Schoelcher l'entendit héler un pingouin en courant dans le couloir. Il savait ce qu'il avait à faire.


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Fiche mise à jour le samedi 21 mai 2005.
Thomas Nemeth
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Script (version 2.9.9-r9) fait en août 2000