L'Histoire des Pingouins

- Par Antoine Bellot -
Épisode VI
Culture & Macramé

Malgré la diversité apparente des amusements qui semblent m'attirer, ma vie n'a qu'un objet : elle est tendue tout entière vers l'accomplissement d'un grand dessein. J'écris l'histoire des Pingouins.

Anatole France : l'ile des Pingouins

Tandis que les Crânes d'Oeuf progressaient sans bruit au coeur de l'Ether afin de ramener au CaLUG les précieuses patates bien chaudes que tous nos héros attendaient, dans les ateliers « mécanique » de la Rébellion, l'heure était à la détente...

« Meeeuuu... T'es sûr qu'on peut remplacer /sbin/init par un lien symbolique sur /bin/sh ? »

« Beh ouaips hé, c'est Tom le Viet qui m'la dit hé j'ai vu ses scripts de la Morkitue, c'est délire comment i'bricole méchant : il appelle ça un démarrage interactif pis tu gagnes vachement de place et finie la galère avec les droits fichiers, c'est cool. Alors après, tu prends le truc à Perens, là : busybox. Tu changes le .h, tu compiles pis tu fais les liens symboliques et paf t'as tout. Le truc galère c'est les libs. Ya plein de fonctions inutiles alors faut tout gerber ske tu comprends pas paske ça prends de la place : tu vois, tu fais make, tu rebootes et... »

--> BAAAAOOUUUMMM ! <--

« C'est pas brillant... »

« Ouaips mais ski est cool c'est qu'ça reboote vachement plus vite qu'une grosse daube de Redhatte. »

« Ha là, c'est sûr, ya pas photo... On y était presque, non ? Chuis sûr que c'était le curseur qu'on a vu juste avant qu'ça vautre. »

« Ouaips, t'as raison, on va d'venir des vrais hackers. Bon on recommence... Alors à mon avis printf ça doit quand même servir à quelque chose... »

« Meuh non hé, printf c'est unsecure, c'est Tom qui l'a dit ! »

« T'as raison... On va virer cette grosse func_unsecure de daube, chuis sûr qu'à De Bean ils l'utilisent jamais. Les commentaires, tu crois que ça fait perdre du temps à la compile ? »

« Sûr !, surtout ceux qui commençent par define, c'est les pires : c'est des commentaires évalués. »

« Tu crois pas qu'tu racontes des conneries, là ? »

« Bah, ya qu'à essayer ! »

--> BAAAAOOUMMM ! <--

« T'as vu, il a pas panické pareil. Cette fois c'est 0x0001F800 : c'est moins gros qu'avant. Tu crois que c'est bon signe ? »

« Mouarf bon, là j'en sais plus trop rien : bon, on fait une pause Pelf' ? »

« Heu méfie toi, ya un mec qu'a fait une recette bizarre ya pas longtemps : ch'rais toi j'approch'rais pas d'la cafète. »

« Ha ouaips oulàlà au secours. Bon : si on allait voir à la téloche avec les autres ? »

La téloche était branchée 24/24 sur les satellites de la Rébellion. Bien sûr, quelques jeunes pilotes tentaient régulièrement de réorienter les antennes vers Man Drake, « pour apprendre de l'ennemi qu'ils disaient », mais l'immanquable sanction tombait toujours : une petite partie de r00twar avec le lieutenant et 50 heures de polissage de châssis à l'issue, sans compter la lecture publique des oeuvres complètes de Richard STALLMAN à 16h30 du matin.

Mais cette fois-ci, à la téloche, yavait un truc bizarre :


Le maître Raan contemplait les cimes enneigées surmontant la vallée de pins de Kan Hadda. Assis, à son habitude, face à la grande fenêtre de sa retraite perdue au sommet d'une sente à jamais oubliée, il recherchait cette béatitude dont l'intense pratique de la Discipline du Code le privait souvent. Rares étaient ceux qui l'approchaient, reclus dans sa montagne. Mais aujourd'hui, le maître attendait d'heureuses nouvelles, et semblait serein.

« Sois le bienvenu, Sefiroth : assieds-toi donc. »

Le chant de la douce brise des sommets entra un instant en résonnance avec les grincements du bois de l'antique demeure.

« Quelles nouvelles d'outre-Terre ? »

« C'est un succès, Maître... Le Code se propage par delà l'ether. Nos adeptes lui donnent vie, nulle inquiétude ne trouble les nôtres. Quelques flibustiers de Hurd se sont même associés aux célébrations qui se tinrent en Basse Tille. Ils portèrent assistance et firent fête à l'envol des nouveaux nés, aux commandes de leurs effroyables et capricieux engins dont quelques-uns se brisèrent en vol, d'ailleurs. Hormis cela, nul bruit ne trouble la quiétude des nôtres. Vous pouvez sans angoisse retourner en la verte forêt qui s'étend par délà votre demeure. »

Theo jeta un regard attendri vers son antique télétype ASR mark 33, puis leva les yeux vers le mandalay d'Occam. L'oeuvre d'une vie se prolongeait, une vie solitaire, recluse, faite d'exigence (d'intransigeance ?), et toujours, l'effort, la pratique, la voie tracée droite comme une lame. Il ne se manifesterait pas dans l'Ether aujourd'hui, combattre et défendre sa voie, ses fidèles seraient là.

« Maître, » osa Sephiroth contemplant l'ASR, « est-il vrai que vous avez pratiqué la Discipline sur ces consoles ? »

« Oui, mais ces machines étaient déjà antiques alors que je n'étais qu'un jeune initié... J'y cherche toujours l'esprit qui anima les maîtres anciens, bénis soient leur noms. Mais au fur et à mesure de mon oeuvre, je m'éloigne de leur pensée, ce qui m'attriste, mais me semble nécessaire. De nombreux maîtres, comme l'honoré Wenema, pensent qu'il y avait des défauts dans le Prime Oeuvre, comme le « recours au Suid », par exemple et j'ai fait de ces défauts les fondements de mon Église. Ceux qui viennent à nous recherchent la quiétude, la tranquilité, et souvent ce seul argument suffit à une âme sensée. Nos adeptes ne sont pas des intégristes ou des passionnés, mais ceux qui recherchent le Code Souple, conforme aux attentes implicites et explicites de l'adepte. Tout celà a un prix : la simplicité, car je suis seul sur cette voie, avec, parfois, les héritiers de Jollitz, et mon ancienne Église, les Gardiens de Berkeley. »

« Il est vrai, Maître, que de nouveaux adeptes issus des rangs de la Rébellion nous rejoignent. Il y en a peu, mais les paroles du jeune maître Linuz leur ont donné le goût de la simplicité, et la mesure du prix de la quiétude dont nous jouissons tous. Ils sont souvent très jeunes, et leur formation est incomplète, mais ils apprennent vite. Je suis sûrs que notre Église ne s'en portera que mieux. Le récent passage de la BSDI.Corp aux côtés des héritiers de Jollitz est une nouvelle qui enflamma le coeur des nôtres. Est-ce impie, Maître, de croire voir un jour le Joyau Reformé ? »

« Impie, je ne pense pas Sefiroth, mais je crains de ne pas voir cela de mon vivant. Notre Église est née dans la révolte, et se nourrit de la révolte, révolte après révolte lorsque les hordes de Berkeley se retirèrent et que tous prétendaient connaître l'essence ultime de leur pureté. Nulle parole sensée ne vint nous dicter la raison, alors : nous n'étions que de jeunes sectaires, et aujourd'hui encore nous serions fragmentés, harcelés par nos querelles si les sentients dans leur ensemble ne commençaient à apprendre notre existence. Le regard des autres nous change, Sefiroth, et nous pousse à référéner nos tendances naturelles à l'entre-étripage. Notre chance est que, grâce aux héritiers de Jollitz et au jeune Linuz, une infime minorité des sentients entrevoit la lumière : grâce leur en soit rendue à eux tous. De la brèche qu'ils ouvriront, jailliront les maîtres de demain, et nul Empire ne les endoctrinera tous. Je crois que nul espoir de cette sorte n'a existé depuis la prophétie du Mac Illroy... en... 1964, je crois. Et pourtant six ans, puis trente ans s'écoulèrent. Mais tu connais mon opinion là-dessus, Sefiroth. »

« Oui, Maître. La première loi du Commerce Galactique : Pourquoi vendre aujourd'hui ce que nous vendrons demain, Pourquoi fournir un remède alors que nous pouvons vendre un palliatif, pourquoi vendre aujourd'hui la solution, alors que nous ne perdons rien à soutirer et soutirer encore ? N'est-ce pas la loi du Professeur Shaddock ? »

« Non, Sefiroth, le peuple Shaddock n'était pas conscient de son atroce destin, mais oui, les sentients sont ainsi endoctrinés par l'E-Empire : ils laissent les vendeurs dicter leur existence. Ils les laissent choisir pour eux ce qui est bien ou mal, alors que chacun a la possibilité de choisir sa voie ou d'ouvrir la route qu'ils désirent. J'avoue avoir pris Linuz pour un de ces jeunes écervelés qui se présentent à l'Église chaque jour croyant avoir réinventé la lumière. Mais sa foi inébranlable en le Grand Partage le sauva sans nul doute et nul ne peut aujourd'hui lui contester sa place parmi les meilleurs des nôtres. De tous les maîtres, il est celui qui a sû fédérer, bénédiction qui nous fût refusée. Il a sû apprendre des meilleurs artisans. Il a sû faire taire les divisions, et poursuivre une oeuvre simple et de haute portée, rallier à lui des hordes qui n'attendaient qu'une occasion pour rallier la bannière de l'E-Empire. La Force a ses raisons que nous tous ignorons et encore aujourd'hui, je cherche la leçon de Linuz, même si je crains de ne jamais savoir l'appliquer à moi-même. Ma voie est mienne. »

Raan fit soudainement silence.

« J'ai rencontré un homme étrange dans l'Ether, Sefiroth : il se nomme Milewski Bartosz. C'est un grand adepte, pour sûr, mais son aura est inhabituelle. Il fût un grand mercenaire de l'E-Empire et désormais opère seul, hors de toute obédience. Il répand une pratique étrange du Code, une approche rigoureuse de la pratique de Soundstrupp. Je reconnais sa marque dans la Parole du G.N.O.M.E., n'est-ce pas étrange ? »

« Vous lisez le Code du G.N.O.M.E., vous, Maître ? »

« Sefiroth, tu sais pourtant bien que je n'écris que peu de Code : je recherche surtout la pureté dans les tréfonds de l'Ether, et je juge d'ordinaire rapidement des Codes aussi dangereux et difficiles à relire que ceux s'inspirant de la pratique de Soundstrupp. Mais Milewski prétend qu'on peut en dompter ses bords acérés et propose même sa méthode, manipulant une sémantique d'une très haute abstraction. »

« En quoi ce Milewski vous trouble-t-il, Maître ? »

« Milewski est la seule personne que je connaisse à avoir visiblement assimilé les principes doctrinaux de l'écriture de Code de l'E-Empire. Son analyse est techniquement remarquable, même si elle témoigne d'une pratique trop assidue des couches hautes, et j'hésite à juger de la portée de ses techniques de Code... Pour l'Userland, du moins. »


« AAaaaarrrd' Ahou ! »

Le lieutenant fit une entrée fracassante, l'air passablement éméché, précédé de quelques fractions de seconde par son ordonnance. Il fit face aux Pingouins raides comme des piquets, puis tourna la tête vers la téloche. Il soupira.

« Vous avez pas un peu fini de r'garder des conneries pareilles ? Tiiiinnn... j'y crois même pas : à peine 20 balais et déjà dinos ? Z'êtes tristosses les mecs, ça vous plait pas d'être pilotes ? Si vous voulez on a un plein stock de pantalons en v'lours côtelé. »

Il fit face à l'assemblée, puis déclara :

« Permettez-moi d'vous dire une chose, les bleus : c'est même pas la peine d'imaginer entraver quoi que ce soit à c'que racontent les vieux schnoques tant qu'vous s'rez pas capables de reconfer vos interfaces en plein Ether sans délogguer ! Alors fini les conneries, tou'l'monde dans les piaules. »

Une nuée de moineaux n'aurait pas déguerpi plus vite.

Le lieutenant attendit calmement que le silence revienne, puis empoigna une bonne grosse boîte de Pelf' derrière le bar, avant de zapper la téloche sur la chaîne musicale.


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Fiche mise à jour le samedi 21 mai 2005.
Thomas Nemeth
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