DÉLIRIUM TRÈS MINCE

- Par Thomas Nemeth -
Chapitre 1
L'immersion

Je dois me réveiller ! Il faut rejoindre les autres. Allez : ouvrir les yeux... Mais ??? Qu'est-ce que je fais là ? Comment je suis arrivé au plafond ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Comment je fais pour tenir sur le dos au-dessus de mon lit ?

Merde alors ! J'ai les mains palmées ! Chuis pas Marc Harris, moi ! En plus j'sais même pas où est l'Atlantide. Il faut que j'appelle les autres... Ah... Ils arrivent ! Tiens ? Qui c'est çui-là ? Il vient flotter dans ma maison et il n'était pas invité... Et tout habillé en vert en plus.

« Bonjour ! Êtes-vous invité ?
- Bonjour. Non je ne suis pas invité, mais je viens te chercher.
- Ah ? Mais t'es qui toi ?
- Peter. Peter Pan. »

Il a le visage un peu jaune. Ils sont vraiment nuls ces coloristes ! Qu'est-ce qu'il a l'air con avec son bonnet vert et son petit couteau ridicule.

« Bizarre... J'ai l'impression de connaître ce nom. Peter Pan, tu dis ?
- Oui, c'est possible : je suis passé à la télé.
- Et tu peux m'aider à descendre de là ?
- Pourquoi faire ? On va voler tous les deux.
- Voler ? Où ça ?
- Tu vas voir... »

Soudain ma vue se trouble. Tout semble basculer comme par enchantement. Le décors de ma chambre s'estompe pour faire place à une forêt pas trop dense infestée de bestioles volantes style mouches, moustiques, et tout plein d'autres saloperies qui piquent, s'accrochent dans les cheveux et bourdonnent dans les oreilles. Toujours à deux mètres cinquante du sol, j'essaye de me tourner vers Peter.

« Bon ! Qu'est-ce qu'on fout là ? Comment fait-on pour marcher normalement ?
- Tu es ici pour m'aider. Quant à redescendre, c'est hors de question : tu as de la poudre de fée sur le visage.
- Merde... Comment ça s'enlève ce truc ?
- Ça part avec le temps.
- Ah... Et je dois t'aider à quoi faire ?
- Suis-moi, tu verras bien. »

Je le suis dans un méandre de chemins. La propulsion est plutôt difficile. J'essaye de bouger les bras pour voler comme les oiseaux, mais ça marche pas. Forcément : mes bras n'ont pas la forme des ailes d'oiseaux. Seules solutions : souffler en arrière pour faire réaction, mais ça essouffle vite, ou alors faire la brasse. C'est ce que je choisis. Ça va pas vite, mais au moins il n'y a pas besoin de la couler. En plus, avec mes mains palmées, ça aide un peu.

On arrive dans une clairière où se trouvent des cabanes suspendues aux arbres. On s'agrippe aux lianes qui en tombent et je me propulse vers le haut en tirant dessus. Ma tête heurte le plancher et je lâche tout. Peter me rattrape alors que je suis en train de partir encore plus haut.

Je tente tant bien que mal de m'asseoir sur un tabouret fait avec un tronc d'arbre coupé en me calant les pieds dans les fentes du plancher et me tenant aux racines de toutes mes forces alors que des saletés de mouches volent autour de ma tête et me sifflent aux oreilles.

« Maintenant tu vas me dire ce que tu veux !
- Tu vas m'aider à récupérer les enfants perdus.
- C'est quoi ça ?
- Ce sont mes amis : ils ont été capturés par Crochet.
- Bin alors ? Il suffit de les décrocher...
- Pas possible : il les retient dans une faille spatio-temporelle. Et on ne peut y accéder que par une porte en forme de crocodile dont lui seul a la clef : c'est son crochet.
- Ah. Faut donc lui piquer son crochet... Dis-je en écrasant une de ces sales mouches...
- ESPÈCE DE CRÉTIN ! TU VIENS D'ÉCRASER CLOCHETTE !
- Hein ? Bin ??? C'était juste une putain de mouche !
- Nan !!! C'est la fée Clochette ! C'est elle qui nous permet de voler en nous dealant de la poudre. Maintenant on va être sacrément emmerdé pour aller choper les gosses. Tu peux pas savoir ce que ça coûte d'obtenir une fée dans l'Administration !
- Non ?
- Il faut remplir une térachiée de paperasses de merde et on n'en a droit qu'à une tous les dix ans.
- C'est con ça.
- Ouais, bin c'est surtout toi qu'a fait le con sur ce coup. Il faut aller en faire une nouvelle demande. Mais on la fera à ton nom : je n'avais Clochette que depuis 3 ans. Le seul avantage c'est que tu t'es foutu de la poudre partout sur tes fringues. Tu pourras encore voler quelques jours. Prends sa poche à poudre au cas où il en resterait encore : tu l'as coincée sous ta cravate. »

C'est là que je remarque que je suis en pyjamas alors que j'ai l'habitude de dormir à poil, mais surtout je m'étais couché tout habillé... Et pourquoi j'ai une cravate ? J'en mets jamais. Et puis d'abord où sont passés mes gants et mon casque ?

Je devais pas les avoir peut-être.

Nous partons. Je le suis, toujours à la brasse. Mais il va plus vite que moi. Si au moins je pouvais courir ou si j'avais plutôt des ailes, ça irait mieux. Quoiqu'une bonne caisse ou un moto ce serait encore beaucoup mieux...

Mais va-t-en trouver une tire dans le coin ! Je suis sûr qu'il n'y a pas un concessionnaire dans les dix kilomètres alentours... Et ne parlons pas de loueurs !

Bientôt on sort de la forêt pour découvrir devant nous une vaste plaine en bas d'un pente non moins immense qui mène, tout au fond, à une ville gallo-romaine dont on ne distingue que les colonnes situées à la porte principale.

« Nous sommes presque arrivés.
- Enfin ! Je commençais à fatiguer.
- C'est maintenant que ça va être le plus difficile.
- Ah bon ? Pourquoi ?
- C'est très simple ! Les bureaux de l'Administration sont tenus par des Golganfricheux.
- Ça ne me dit rien qui vaille...
- Et tu as bien raison. Ils sont... Comment dire... Un peu à part ! Ils auraient bien besoin d'une upgrade de kernel.
- Kernel ?
- Ouais : on dit aussi noyau. Cédé slash useur slash essèrecé slash linux riturn maike menuconfig puis maike dep cline bézèdelilo modules modulehinstall et enfin riboute et cétoubon.
- Hum... Allons-y : nous verrons bien. »

Il s'engage dans la pente et j'en fais autant. C'est facile pour avancer cette fois : il suffit de se laisser glisser en écartant les bras. On survole des vaches qui ne semblent pas effrayées, mais faut tout de même faire gaffe aux haies dans lesquelles on aurait vite fait de s'emmêler.

Finalement nous arrivons devant la porte. Une autre ville faite de tentes s'est établie aux pieds des remparts. Sur un panneau en pierre est marqué le nom de la ville : « Sion ».


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Fiche mise à jour le lundi 12 novembre 2001.
Thomas Nemeth
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