DÉLIRIUM TRÈS MINCE

- Par Thomas Nemeth -
Chapitre 4
Décrocher le crochet

Finalement nous arrivons à la cabane dans l'arbre pour nous y reposer et pouvoir observer à loisir le fameux crochet de Crochet. Mais avant tout un peu de repos est le bienvenu !

Apéro, fauteuil... C'est fou le confort qu'on peut trouver dans un abri de fortune.

« Bon. Passons aux observations, lui dis-je.
- Observe à Sion !
Les os servent à Sion.
On se les passe à Sion :
Ils sont illustres à Sion
Car ils évitent que l'on pollue Sion
On les y destine à Sion
C'est ce que les pros testent à Sion
...
- Tu sais... La poésie des Vogon est vraiment exécrable !
- T'as raison : travaillons. »

Il prend une longue vue et m'en tend une autre. L'oeil rivé à l'oculaire, nous suivons les évolutions d'un grand type mince, avec une cape et un chapeau ridicule sur un vieux galion. Un pantalon dont le noir ressort sur un fond de grande cape rouge, une chemise d'un blanc douteux et un chapeau orné d'une tête de mort ne sauraient caractériser un pirate sans un bandeau sur l'oeil droit et un crochet à la place de la main gauche. De temps en temps, un de ses comparses vient lui parler. Il a une jambe en bois qui se coince entre les lames du plancher et le fait trébucher régulièrement.

Crochet semble soucieux. Il rumine, fulmine et tourne en rond continuellement.

« Tu as remarqué qu'il tourne toujours dans le même sens ?
- Ouais... C'est comme les galaxies. Je me demande pourquoi elles tournent toutes dans le sens trigonométrique.
- Mais non, ducon ! Les galaxies tournent. Point. Le sens de rotation dépend du point de vue. Si tu les voies du dessus, elles tournent dans le sens trigonométrique et si tu les vois du dessous, elles tournent dans le sens des aiguilles d'une montre. »

Il me regarde d'un air ahuri...

« Les galaxies ont un dessous et un dessus ?
- Mais oui... C'est comme des couvercles de casseroles.
- Ah ? Mais alors... Où sont donc les casseroles ?
- T'es vraiment nul ! T'as jamais fait d'astronomie ? Ce sont les constellations de la Grande Ourse et de la Petite Ourse, bien évidemment.
- Wouaou ! Qu'est-ce que t'es savant. »

Dans le silence nous reprenons nos observations.

« Tiens... Tu as remarqué ?
- Bin oui ! J'ai des yeux moi aussi.
- Il prend son thé...
- Normal : il est cinq heures.
- Forcément.
- Par contre, il a changé son crochet contre une pince articulée. C'est pratique son machin !
- Ouais... Et puis il est pas bête : il a pris un parasol.
- Hum. On va attendre la nuit : peut-être enlèvera-t-il aussi son crochet... À mon avis il doit le faire. C'est plus sûr : il risquerait moins de se le planter en dormant.
- D'accord. Piquons un somme en attendant. »

Mon sommeil est agité. Je fais un cauchemar étrange. Je ne peux pas bouger comme paralysé et j'entends régulièrement qu'on m'appelle : « Thomas ! Thomas ! Reviens ! ». Mais le moment de se réveiller approche et Peter me sort de ce rêve angoissant.

La nuit est tombée et il est temps d'aller chercher la fameuse clef nous permettant de délivrer les enfants perdus. Nous descendons de la cabane et nous déplaçons en silence à travers la forêt en direction de la crique où est amarré le galion de Crochet.

« Où crois-tu que se trouve le crochet ? Me demande Peter.
- 'Sais pas... Peut-être accroché à un autre crochet ou sur sa table de nuit.
- Je me demande où il peut bien être.
- Dans sa chambre ! Chut !
- Oui, mais où dans sa chambre ?
- Je ne sais pas : c'est le principe d'incertitude d'Heinseberg.
- Non ?
- Si : il dit qu'on ne peux rien déterminer avec précision dans un volume inférieur à h³.
- Ça fait quelle taille ça ?
- Chais pas. Mais c'est pas grand.
- Pas grand comment ?
- j'en sais rien. Fout moi la paix. De toutes façons sa chambre est sur son bateau : forcément ça ne peux pas être bien grand... »

En silence nous atteignons le bord de l'eau. Je sors le sac contenant la poudre de fée restant de Clochette et m'en saupoudre légèrement : nous allons survoler la surface de l'eau et arriver au navire sans bruit.

Ça fait vraiment bizarre de nager au-dessus de l'eau... J'ai l'impression d'avoir déjà vu ça. Lutter contre le vent est difficile. Il fait chier ce mistral ! En arrivant je m'aggripe à la chaîne de l'encre et m'en sers pour me propulser jusqu'à l'écoutille. En un coup d'oeil, nous nous apercevons que tout le monde dort et que nous pouvons nous aventurer sur le pont sans danger.

Maintenant nous prenons la direction du château arrière à brasse de loup... Si tant est qu'un loup sache faire la brasse. La lune nous éclaire le chemin et nous entendons les ronflements venant d'une pièce à l'arrière. Le problème qui se pose est le suivant : comment pénétrer dans le bâtiment sans faire grincer les portes ?

Peter sort alors de sa poche une petite bouteille d'huile d'olive. Et doucement il en oint les gonds de la porte. Doucement je lui murmure à l'oreille :

« Comment se fait-il que tu aies de l'huile d'olive ?
- C'est la meilleure pour la santé ! Me répond-il. »

Forcément ! Suis-je bête ! Il ouvre donc la porte et je rentre à l'intérieur alors que Peter surveille les alentours au cas où un des pirates se réveillerait. Il fait noir comme dans un four --- encore que je ne sois jamais entré dans un four --- et j'ai du mal à me repérer. Un rayon de lune passe par les fenêtres arrières et vient éclairer le sol. À droite, le long du mur, se trouve le lit avec le pirate dedans. C'est de lui que viennent les ronflements. Du même côté, il y a une fenêtre qui donne sur la crique. De l'autre côté une armoire et une fenêtre donnant sur le large. Au fond, devant la fenêtre du milieu, le bureau et au milieu de la pièce, une table et des chaises avec tout un fatras dessus : verres vides, bouteilles de rhum non moins vides, papiers, cartes aux trésors...

Au-dessus du bureau du fond, un objet brillant : le crochet de Crochet accroché astucieusement aux éclisses de la fenêtre la laissant ainsi entrouverte pour que l'air frais puisse entrer sans faire courant d'air.

Je m'en approche, décroche le crochet tout lentement afin de ne pas le faire cogner contre le métal des montants de la fenêtre, et repars sans un bruit. Alors que nous passons par-dessus le bastingage, un grand bruit nous secoue. Les fenêtres laissées ouvertes et la porte mal refermée ont laissé passer un courant d'air et se sont toutes refermées en même temps en claquant comme pas possible, réveillant tout le monde sur le bateau.

« On nous attaque ! À l'abordage ! Les femmes et les enfants d'abord ! Pas de quartier ! Canoniers à vos postes ! »

Un grand remue-ménage se fait entendre dans les ponts inférieurs, les canons sortent des sabords.

« Boutez le feu ! »

Et hop : tous les canons se mettent à cracher leurs boulets en même temps dans un vacarme d'enfer. Heureusement ils ne savent pas viser. De toutes façons ils ne savent pas sur quoi ils tirent car ils ne nous voient pas. Le crochet bien en sécurité, nous filons à tire d'ailes vers la côte et nous enfonçons dans les bois sans qu'aucun des pirates ne nous ait vu.


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Fiche mise à jour le lundi 12 novembre 2001.
Thomas Nemeth
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