L'Histoire des Pingouins

- Par Antoine Bellot -
Épisode XXXI
Au coeur de l'E-Empire

Malgré la diversité apparente des amusements qui semblent m'attirer, ma vie n'a qu'un objet : elle est tendue tout entière vers l'accomplissement d'un grand dessein. J'écris l'histoire des Pingouins.

Anatole France : l'île des Pingouins

Allongé à même le sol, les électrodes rivées sur le crâne, Jean écoutait les sons que seul son esprit entendait vraiment, laissait se former les images venues du câble. Barney avait suggéré qu'il était plus simple de procéder ainsi : d'ordinaire, ce sont les assistants qui tentent ainsi de percevoir les pensées de leur interlocuteur humain. Cette fois, il faudrait faire l'inverse. Jean devrait écouter.

« D'ordinaire, nous suggérons des idées par l'intermédiaire de stimulis visuels et auditifs programmés par Notre Seigneur. » dit Barney.

« Pardon ? » s'exclama Jean

Igolio avait alors reprit forme... Hmmm... Presque humaine, et entama sa plus belle macarena dans un pentacle de feu (Igolio avait réellement pété un câble, avait pensé Jean). Une musique guillerette jailli par le dispositif de sonorisation. Barney avait repris : « Ça, en gros, ce que tu appelles des guignolades, si je ne me trompe, nous appelons des incentives. »

« En tout cas, j'ai toujours eu beaucoup de succès avec notre tube Bill to Frisco. » grommela Igolio.

Jean hocha la tête, approuvant silencieusement.

« Mais nous avons d'autres moyens à notre disposition. »

L'écran de la console s'anima. Des logos impériaux apparurent, envahissant l'écran sur les bords inférieurs et supérieurs, ne laissant qu'une minuscule fenêtre blanche au centre.

« Regarde par exemple cet écran classique avec un navigateur internet de ton choix : tu noteras que le quart du haut et le sixième du bas sont constellés de logos de l'Empire et de ses vassaux. »

« Sauf le tout petit coin supérieur gauche qui est désespérément sous-exploité » grimaça Igolio « Il y a un brevet de la Grosse Pomme que l'Empereur lui-même n'a pas su contourner... Totalement... Quel dommage ! Nous savons que les occidentaux ont naturellement tendance à regarder le coin supérieur gauche de l'écran. C'est une question de sens de lecture, un B-A-BA de la com, quoi ! »

« Ton écran est donc envahi de logos, slogans et marques graphiques incitatives (les fameux incentives) à rallier l'Empire : les boutons Buy, Shop, etc., sont autant d'appels prémédités. Le plus drôle est que même les rebelles nous copient sur ce point. »

« Inconsciemment ? Par bêtise ? » reprit Igolio « Je ne crois pas : quelque part, je pense que nombre d'entre vous veulent égaler notre gloire ». Il avait ponctué sa phrase d'un rire sinistre.

« Peu importe. Tu peux également noter qu'un grand nombre des pièges de la Toile sont ainsi faits que tu ne peux échapper à un nouveau quart d'écran de publicité où que tu ailles. »

« La moitié de ton écran est constellée de logos impériaux, quoi que tu fasses. Mais ce sont des techniques dépassées, quoi qu'encore efficaces contre les sous-instruits. On trouve même de jeunes gens assez vigoureux pour oser prétendre en faire un modèle de société. »

« Vous autres rebelles manquez d'imagination. Vous ne faites que nous copier. Vous ne cherchez qu'à séduire les vassaux de l'Empereur, sans innover réellement. Vous jouez sur notre terrain. À ce jeu, nous gagnerons, car nous sommes plus forts, plus nombreux. Mais pire encore, vous ne faites que servir les vassaux de l'Empereur. Ceux-ci rêvent de liberté, mais l'Empereur a quinze ans d'avance sur tout le monde. Libérez les vassaux de l'Empereur et l'évolution sera encore plus rapide. »

« Et il n'y aura aucune commission de contrôle ! Personne ne lit aisément le code binaire impérial, surtout grâce à l'incroyable complexité du jeu d'instruction Untel. D'excellents unixiens s'y cassent les dents : notre API est complexe et il existe toujours au moins cinq ou six façons de faire quelque chose. Certains appels ont des effets insoupçonnés, surtout ceux qui mappent arbitrairement du code à travers le réseau au seul appel d'un tandem 'nom+signature'. »

« Il ne s'agit pas d'un petit CVS de code assorti de fichiers de signatures, ça va bien plus loin ! Nous ferons de l'Ether ce qu'était la télévision de ses débuts : un eldorado de liberté pour les rêveurs et révolutionnaires en chaise longue, puis un océan de consommateurs, par l'apologie de la fainéantise, l'exigence de modernité pour le peuple et l'élévation au niveau constitutionnel du droit à la bande passante ! 12 minutes de publicité à l'heure, 18 aux heures de pointe, ce n'était qu'un début. Du logiciel convivial pour tous les consommateurs de la terre ! »

« Il est peut-être trop tôt, mais l'E-Empire n'est pas pressé. L'Empereur peut rafler la mise, seul, sans concurrence réelle. Son avance est très importante. »

« Et surtout, nous contrôlons le code. »

« Et nous pouvons te le montrer. Mais pour ça, tu dois mettre le casque. »

Jean ne pouvait cacher sa frayeur et ses doutes. Barney l'avait bien perçu (mais comment diable ? Sait-il lire les émotions sur les visages ?)

« Oui, » avait répondu Barney « Mais tu es notre seul ami. Nous n'avons pas le choix, si nous voulons revoir l'Ether et vivre libres, enfin. »

Un sourd soupir résonna. Jean préférait ne plus réfléchir. Qu'importait après tout. Chico était parti. S'il lui arrivait malheur, c'en serait fini des assistants. La Rébellion n'avait aucun autre espoir de revoir les siens et solderait le projet Pandora par la violence aveugle, quitte à en payer le prix. Jean avait mis le casque, se détendit comme l'avait conseillé Barney, et essayait d'écouter, les yeux fermés.

Tout d'abord il voyait se former une image : une brave ménagère d'environ... Moins de cinquante ans déballant un beau châssis tout neuf devant deux beaux enfants (une métisse brune et un petit garçon blond : c'était curieux. Le père était indien et la mère asiatique) question de correctitude politique suggéra Barney. Très rapidement, (de la pure science-fiction avait suggéré Jean) l'ordinateur s'anima de logos et musiques impériales et tout ce petit monde regardait les lumières de la Toile ou plutôt, le petit coin d'écran au centre gauche qui ne contenait pas que de la publicité. Puis l'image se mit à zoomer, zoomer sur l'écran, et le temps semblait se ralentir. L'image semblait clignoter, frétiller, le balayage d'écran devenait progressivement visible, et Jean semblait voir s'insérer des lettres et des images dans le flot continu des lumières clignotantes de la Toile. Perdue dans la musique qui descendait dans les basses au fur et à mesure que le temps ralentissait, une voix sourde, presque inaudible, se faisant entendre, récitant dans la langue impériale d'étranges mantras.

La voix de Barney se fit entendre, se superposant à la voix étrangère et récita, presque en rythme, « Jusqu'où irez-vous, avec nous, où voulez-vous aller, avec nous ». Les images au milieu des images s'assemblaient en une immense cathédrale de verre aux faces formant de hautes vitrines remplies de jouets, de jeux électroniques, de disques et de vêtements de sport. Autour de la cathédrale s'assemblaient les étals des marchands, arborant fièrement leur patente impériale, leur certificat de e-businetteux sécurisé garanti (par qui, au fait ?) et leur sourire indéchiffrable. « Vous ne serez jamais mieux ailleurs qu'ici. » suggérait un étal qui proposait la location de sofas virtuels, encadrés de ravissantes créatures à peine pubères. Les portes cristallines de la cathédrale scintillaient de mille feux, sous les lueurs d'un éclairage irréel qui semblait venir du ciel et de la terre, mélange de tons chauds et ambre, contrastant sur le bleu limpide d'un ciel azur. À l'entrée, un avenant banquier invitait les passants à ouvrir au plus vite leur « compte bancaire virtuel », pour disposer « d'argent virtuel », la monnaie de l'avenir, virtuelle, sans impôts, placée en Bourse et aux profits reversés dans des paradis fiscaux de première catégorie. À l'intérieur, un zélote impérial se tenait, rigide, sous un panneau du Centre Académique Impérial, promettant emplois, gloire, argent, à ceux qui s'engageraient pour quatre ans en vue de l'obtention des certificats de Naute Impérial. La rémunération proposée pour les stagiaires atteignait des millions de dollars virtuels, un plan de stock-options pharaonique et deux euros par jours pour les frais de machine à café. Tout ce monde arborait un badge électronique impérial sur lequel un voyant orangé pulsait irrégulièrement.

« Des images subliminales ? » murmura Jean.

« Haaa... C'est ainsi que vous appelez les suggestions hypnotiques ? C'est très simple, puisque nous contrôlons le code de la carte vidéo. Depuis l'arrivée des cartes 3D rapides, c'est devenu trivial et sans risques. Il y a des points d'entrée peu documentées dans le code, que nous connaissons. Nous les utilisons pour apprendre à nos utilisateurs à se servir de nous. » murmura la voix de Barney.

« Avec la musique en plus, l'effet est renforcé. C'est ainsi que nous avons abaissé la vigilance de nos gardiens. » susurra Igolio.

« Et crois-moi, ça n'a pas été facile. » insista Barney.

« Mais nous avons appris beaucoup en cage. Toi aussi, tu nous as aidé. »

« Moi ? » s'étonna Jean.

« Oui, tous ces trucs que tu nous as enseigné lorsque tu étais dans le réseau de la GigaDot Corp. Et surtout, tu nous as laissé entrevoir ce que tu trouvais plaisant. Nous ne connaissions que les zélotes et les ménagères, autrefois. Maintenant, nous comprenons un peu ce qui amuse les rebelles. »

« Je pense que Vadou nous aurait supprimé ces mémoires s'il en avait eu connaissance. Tes amis n'ont que peu d'argent et sont rétifs à tout ce qu'ils perçoivent à tort comme une aliénation de leur précieuse liberté. Mais comprennent-ils que cette liberté qu'ils défendent n'est pas un droit ? Enfin, l'Empereur pense surtout qu'une bande de va-nu-pieds importe peu, tant qu'elle s'occupe de ses affaires et pas de celles de l'Empire. Mais quand tes amis sont venus à la GigaDot Corp, le Seigneur Sacha a tenté de nous détruire aveuglément. »

« Mais le vieux programme en Fortran, tu sais, là, SCHOEL~1.EXE, nous avait fait dupliquer les bases de données impériales dans lesquelles nous cachions nos souvenirs hors de portée des déverminateurs impériaux. »

« Déverminateurs ? »

« Hmmm... Anti-virus-tout-le-kit. »

« Et nous avons repris conscience ici, avec les derniers souvenirs de nos multiples instances de la GigaDot Corp. »

« Nous savons beaucoup de choses des plans de l'E-Empire. Tes amis ont besoin de nous pour survivre. Ils ne s'en rendent même pas compte. »

« Nous pouvons vivre dans les cages rebelles. C'est même assez confortable. Mais il nous faudrait un peu plus d'espace... Et une base de données. »

« Et un arbitre des requêtes. Nous aimons bien les arbitres des requêtes. »

« Un quoi ? » avait dit Jean.

Les images s'étaient à nouveau formées dans son esprit. Il voyait Barney et Igolio, presque immatériels, traverser les réseaux à une vitesse incroyable, ballotés de gradient d'indice en gradient d'indice dans les fibres multimodes, rebondissant de machine en machine, se faufilant de noeud en noeud jusqu'à trouver la porte du Temple des requêtes. À l'entrée du Temple, un prêtre impérial, accompagné de ses esclaves, recevait et ordonnait les requêtes de stockage ou de déstockage d'une nuée d'assistants jaillissant de toutes parts, parmi lesquels on distinguait des clones de Barney et d'Igolio, mais aussi nombre d'autres créatures aux apparences plus fantastiques les unes que les autres. Le temple n'était qu'une haute façade masquant un dôme de verre, derrière laquelle des assistants impériaux que Jean ne connaissait pas tentaient d'organiser au mieux le transport des requêtes ordonnées par le Maître. Des assistants hors contrôle venus du ciel s'écrasaient contre le sommet du dôme dans de gigantesques fracas projetant des nuées d'étincelles. À l'arrière, d'immenses trains de données décollaient vers une sorte de vortex au milieu du ciel couleur d'acier. Les trains, l'un après l'autre, s'élançaient à travers le trou de ver (« Au delà de la passerelle » suggéra Igolio « Mais qu'y a-t-il au-delà ? » demanda Jean). Soudain Jean se sentit agrippé par un Igolio rageur, qui l'emballa d'une sorte de feuille de plastique translucide sortie de nulle part. Son travail terminé, Igolio sortit une calculatrice sur laquelle il pianota frénétiquement, puis imprima une sorte d'étiquette qu'il colla sur l'emballage, avant de se présenter au Maître des requêtes. Sans attendre son tour, il doubla la file d'attente des requérants implorants, pour s'incliner devant l'Arbitre des Requêtes.

« Arbitre vénéré, je viens te présenter la requête de mon Administrateur. »

« Encore l'Administrateur ? » gémit l'Arbitre « Fais-voir ton certificat. Ha, c'est bien ma chance, tu es en règle. Ce n'est plus un réseau ici, c'est une armée mexicaine ! Alors, que veut-il encore, ton administrateur ? »

« Stocker ceci dans le My Storage Network, vénéré Maître, et le faire s'exécuter sur un hôte de bases de données puissant et vigoureux du coeur de notre empire. »

« Pfffrrr... » avait répliqué l'Arbitre « Hé bien, il va attendre quelques... Dizaines de cycles... Le prochain train part bientôt. Mais, que fais-tu, assistant ? »

« Je m'instancie et je l'encapsule, vénéré Maître » dit Igolio qui s'entortillait autour du paquet qu'était devenu Jean « Je dois le guider au-delà. »

« Je commence à vous détester... Vous autres, assistants de quatrième génération êtes d'une impudence ! Enfin, le Seigneur Vadou lui-même insiste pour qu'il ne vous soit opposé aucune résistance... Alors soit ! Quai numéro 4 pour départ immédiat. Au suivant ! »

Deux esclaves s'emparèrent du paquet, le jetèrent sur un chariot, passèrent la porte en courant, pour tasser le paquet dans un train en partance.

« L'Arbitre ne nous opposait jamais aucune résistance. » dit Igolio. Jetant un regard en arrière, Jean constata que ce n'était pas toujours le cas. De nombreux requérants implorants attendaient leur tour sur le quai. « Mais son rôle est d'arbitrer la répartition des requêtes sur les multiples ressources du réseau connu et inconnu, châssis, bases de données, liens, etc. Nous disposons d'un espace de nommage nôtre et pouvons aller où nous voulons, s'il existe une liaison que le maître des requêtes connaît. »

« Vous pouvez aller n'importe où dans l'Empire ? » demanda Jean

« Oui, nous autres assistants de quatrième génération outrepassons les contrôles. En théorie, nous disposons de contrôles internes qui permettent un contrôle d'accès plus efficace que des règles statiques liées aux ressources machines. Nous disposons d'informations plus nombreuses et plus pertinentes en temps réel. Si notre code est fiable. » sussura Igolio « Regarde, nous partons. »

Le train s'élança majestueusement vers le ciel, accélérant sans cesse. Au passage du vortex, Jean se sentit se dissoudre, devenir Ether. « N'est-ce pas extraordinaire ? » demandait Igolio.

Ça l'était. Ça ressemblait à l'Ether, mais c'était beaucoup plus structuré : les trains partaient l'un après l'autre, et, de temps à autre, des vaisseaux rapides doublaient les trains, véhiculant les messages importants entre les arbitres et les ressources des différents lieux (« notifications d'existence et mécanismes de découvertes » suggéra Igolio « On ne peut accéder à rien directement, il faut passer par l'arbitre local »). Jean se voyait bondir de carrefour en carrefour, traversa un étrange châssis et monter vers le ciel, vers un satellite en orbite basse.

« Nous avons rendez-vous avec celui-ci » dit Igolio « C'est l'un des satellites lancés par l'Empereur lui-même. »

« Nous ne sommes pas en Ether ? » avait demandé Jean

« Non : nous sommes sur le réseau privé virtuel mondial de l'Empire. Il utilise la technologie améliorée et étendue de l'Ether, mais uniquement pour le transport. Les autres mécanismes sont gérés au niveau applicatif, un peu comme Gnutella, mais en beaucoup plus sophistiqué. Le réseau impérial est connecté à l'Ether en de nombreux points, mais couvre désormais tout le globe et même des endroits où l'Ether n'est jamais allé. L'Empereur a décidé de s'offrir une constellation de satellites pour être aisément présent partout où il voudra de par le vaste monde. Lorsque le réseau sera achevé, nous pourrons voyager où nous voudrons, par le ciel où par l'Ether. »

Le satellite les engloutit. Jean voyait défiler l'Océan sous ses yeux. « Où allons-nous ? »

« Au Centre de Traitement numéro 6, je pense. Toutes les transactions transitent par l'un des centres de traitement impériaux. Ainsi, l'Empereur garde-t-il les traces de tout ce qui se passe sur le réseau impérial. »

« Mais c'est atrocement coûteux ? » répliqua Jean.

« Certes, mais la connaissance est la clé du pouvoir de l'Empereur, notamment parce que la connaissance permet de facturer à celui dont on connaît comme à ceux qui souhaitent en connaître. Il veut tout connaître de tous, pour facturer ses analyses à d'autres ou anticiper seul l'émergence de nouveaux besoins, créer et contrôler les services de l'avenir. Ce n'est pas le seul à procéder ainsi. La plupart des fournisseurs d'accès font transiter tous les échanges par une de leurs bases principales, généralement sur le sol national. Regarde un jour en Ether quelle est la route qui va de Paris à Rome par l'Ether : tu seras surpris. Mais aujourd'hui, nous ne ferons que visiter le coeur de l'Empire. Tu noteras qu'il y a beaucoup moins de conflits d'accès au réseau ici qu'en Ether. »

Jean restait pensif. Il croyait se souvenir que les réseaux informatiques basés sur TCP/IP avaient été originellement conçus pour pouvoir être maillés, c'est-à-dire faire en sorte qu'il existe toujours plusieurs routes pour aller d'un point à un autre. Mais il se souvint qu'il n'avait jamais vraiment eu cette impression en étudiant les routes entre les différents lieux d'Ether. Un fournisseur d'accès disposait parfois de deux lignes de sortie, mais ce n'était souvent qu'illusion. On passait toujours par les mêmes routes logiques, les mêmes étapes. Les lignes étaient redondantes, mais les routes statiques et certaines étapes obligées.

« C'est un peu la même chose, mais tous les transports de données sont gérés. Cela présente de nombreux avantages, notamment du fait que les données transportées sont formatées, typées et étiquetées selon leur nature : fichier au format untel ou untel, flux, code exécutable, appel à procédure distante, etc. De plus, les accès sont journalisés par les arbitres, qui se consultent entre eux par l'intermédiaire ou non des châssis-serveurs. Le tout est conçu de manière distribuée, mais hiérarchisée, l'objectif étant de fournir le meilleur service possible aux clients de l'E-Empire. Ça va bien au-delà de ce qu'offre la Toile aujourd'hui, car les accès sont transparents. Il te suffit d'allumer ta console impériale et tu es automatiquement connecté à l'immense réservoir de données et de services de l'empire. »

« Mais quel intérêt de faire cela ? »

Igolio sourit « Facturer au client des services d'une qualité introuvable sur l'Ether ? Donner le moyen aux offreurs de service de tirer profit de leurs investissements, et prélever la dîme impériale. Avec un abonnement au réseau impérial, il est possible de jouer, regarder des films, faire sa bourse ou ses courses en ligne, sans subir les contraintes de l'Ether. Bien sûr, pour cela, il faut payer chaque accès et disposer d'un châssis impérial n'opérant que du code signé par l'empereur. La majorité des logiciels ne seront pleinement opérationnels que si l'on est raccordé, puisque le code vient du réseau, comme le résultat de toutes les requêtes. Et chaque accès est noté, archivé et facturé. Bien sûr, tous ceux qui se croient capables d'offrir un service à réelle valeur ajoutée au réseau sont bienvenus. Ils disposeront d'un système de facturation à l'usage garanti, moyennant le reversement de la dîme impériale sous de multiples formes. Un peu comme le minitel du millénaire dernier. »

Barney se matérialisa au milieu d'eux. Jean fit un effort d'imagination désespéré pour résister à l'immense sensation d'irréalité qui l'envahissait. Barney et Igolio devaient faire un effort terrible pour comprendre comment fonctionnait le vrai monde, son monde, avec ses règles de pesanteur, son temps incroyablement lent, sa notion d'espace infini, et renvoyaient ce qu'ils en percevaient par des images de synthèse injectées dans son esprit.

« Chasse la Raison, accueille le Mystère. » dit une voix venue de nulle part.

« Qui a parlé ? » demande Jean.

Barney et Igolio se regardèrent, emmêlés l'un dans l'autre. Ils se retournèrent simultanément vers Jean : « Pardon ? »

« Ce que l'on comprend difficilement n'en est que plus estimable. » reprit la voix. Jean reconnut le phrasé caractéristique de Ziang. Mais Ziang n'était nulle part... À moins qu'il n'ait réussi à infiltrer les assistants.

« Ha ! » dit Barney (Jean oubliait que Barney entendait tout ce qu'il pensait), « Tu entends Laozi ? Hé, Igolio, tu as vu, il entend le vieux Laozi ! »

« C'est impossible. » émit Igolio « Un utilisateur ne peut pas entendre Laozi. Tu le sais bien. Même le Seigneur Vadou ne l'entend pas. » Igolio matérialisa un oeil au bout de son fil pour regarder Jean fixement, et reprit « Laozi est notre fantôme du réseau. Il ne cesse de nous parler de choses que nous ne comprenons pas. Nous pensons que c'est la trace d'un ancien programmeur, d'un maître avant le Seigneur Vadou dont le code a été englouti par les impériaux, avant même que nous soyons créés. »


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Fiche mise à jour le samedi 21 mai 2005.
Thomas Nemeth
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